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Babelweb : approche interactionelle et didactique invisible

Alors qu’Internet passe du Web 1.0 au Web 2.0, aussi nommé Web social ou Web participatif, la didactique des langues se réoriente d’une approche communicative vers une perspective actionnelle qui met en avant l’aspect social de l’apprentissage et de l’utilisation des langues et favorise le co-agir. Simple coïncidence ou, comme l’analyse C. Puren un reflet de l’évolution de notre société? Quoi qu’il en soit, l’émergence du web 2.0 ouvre de nouvelles perspectives pour les pratiques de classe permettant la mise en œuvre de la perspective actionnelle prônée par le Cadre européen commun de référence pour les langues ainsi que son enrichissement par de véritables tâches authentiques qui invitent l’apprenant, dès le niveau A1, à (co-)agir en langue étrangère dans le cadre d’interactions sociales dépassant le cadre de la classe de langue.

Perspective actionnelle et approche interactionnelle

Les tâches communicatives du CECR

Le CECR prévoit, pour la classe de langues, deux grands types de tâches : d’une part, les « tâches ‘cibles’ ou de ‘répétition’ ou ‘proches de la vie réelle’ » qui doivent correspondre à des « besoins de l’apprenant hors de la classe, que ce soit dans les domaines personnel ou public ou en relation à des besoins plus particulièrement professionnels ou éducationnels ». D’autre part, les « tâches pédagogiques communicatives […] assez éloignées de la vie réelle et des besoins des apprenants » qui « visent à développer une compétence communicative » et sont fondées sur un « faire-semblant accepté volontairement ». 1

Le CECR définit en partie les tâches en fonction de leur proximité ou non avec la vie réelle, mais n’évoque pas explicitement de tâches directement ancrées dans la vie réelle. La classe reste un lieu de préparation à une action ultérieure dans la vie réelle et lorsque la version française parle de « tâches authentiques », la version anglaise précise : « reflecting real-life ». En cela, le Cadre reste proche de R. Ellis qui, distinguant l’authenticité interactionnelle de l’authenticité situationnelle, précise que cette dernière implique une correspondance entre la tâche proposée en cours de langue et une tâche de la vie réelle2. Il finit même par se demander si l’authenticité est possible en classe de langue3. Cette authenticité nous semble non seulement possible, mais aussi et surtout souhaitable si on veut offrir à l’apprenant des occasions d’agir et de communiquer pour de vrai au sein d’interactions sociales multiples et variées.

Des tâches authentiques pour agir et communiquer pour de vrai

Proposer des tâches authentiques s’inscrivant dans de réelles interactions sociales dépassant le cadre de la classe de langue est essentiel si on se reporte à la définition de la communication et de la (co-)action. D’après les philosophes du langage tels que E. Grillo toute communication est une co-action menant à une co-construction de sens, le tout s’effectuant sous contrainte relationnelle. Autrement dit, parler, ce n’est pas dire quelque chose à quelqu’un, mais c’est « dire quelque chose à propos de quelque chose avec quelqu’un »4, et cet acte de communication dépend largement de la relation dans laquelle il s’inscrit : « À y regarder de près, l’aptitude à la communication […] réclame encore et surtout une compétence communicationnelle qui garantit l’adéquation des actes accomplis relativement à la relation engagée. » 5

En résumé, communiquer, c’est co-agir – co-construire du sens avec quelqu’un – en adéquation avec l’interaction sociale donnée. Quand on communique, quand on agit, on tient compte de la relation au/x partenaire/s de la communication ou/et de l’action ; l’interactionnel joue un rôle primordial dans toute forme de co-action. C. Brassac et N. Gregori6, dans un article sur la mise en œuvre de projets, disent précisément des « conduites humaines » (à comprendre au sens d’actions), qu’« il est nécessaire de les considérer comme des activités contextualisées dans des situations authentiques, interactionnelles7 ».

Tant que l’on proposera à l’apprenant exclusivement des tâches non ancrées dans la vie réelle, on pourra certes le faire agir avec ses pairs sous la contrainte relationnelle qui les unit les uns aux autres, mais il n’y aura au final guère de variété. En outre, comme le montrent de récentes recherches sur les interactions en ligne (Jeanneau & Ollivier 2009), la présence de l’enseignant-évaluateur sur un espace de communication peut amener les apprenants à avoir des comportements peu authentiques dans la situation de communication donnée. Ainsi, des étudiants devant communiquer sur un forum didactique avec des partenaires français montrent par leur attitude et leurs interactions qu’ils communiquent plus avec leur enseignante qu’avec leurs partenaires francophones. Ce phénomène ne se limite pas à la communication médiée par ordinateur, il se retrouve dans de nombreuses situations de classe dans lesquelles, au final, l’apprenant s’adresse prioritairement à l’enseignant en faisant semblant, par exemple, d’écrire à un ami français. Comme le rappelle R. Ellis, 8en situation pédagogique, l’étudiant n’abandonne jamais complètement son rôle d’apprenant ni le professeur son rôle d’enseignant.

Proposer des tâches de la vie réelle sur Internet peut permettre de dépasser le cadre de la classe de langue et de l’interaction apprenant-apprenant et encore plus apprenant-enseignant. L’apprenant pourra dépasser son rôle d’apprenant pour devenir un usager de la langue agissant avec des partenaires locuteurs natifs ou non variés. Il fera ainsi l’expérience concrète de la communication sous contrainte relationnelle. Nous nommons « approche interactionnelle » cette approche qui vise à remettre au centre de la communication des tâches authentiques, c’est-à-dire qui soient ancrées dans des interactions sociales réelles dépassant chaque fois que possible les interactions de la classe.

Le Web 2.0 est un terrain privilégié pour la mise en œuvre de cette approche interactionnelle puisqu’il est largement fondé sur des aspects sociaux et permet de partager et échanger avec des personnes réelles dans le respect de règles sociales spécifiques aux sites et à leurs utilisateurs. Il existe sur Internet un grand nombre de sites participatifs permettant aux internautes d’agir en acteurs sociaux et en usagers de la langue, mais ces sites ne sont pas toujours adaptés au niveau et aux compétences des apprenants. De là est née l’idée de créer un site participatif à des fins didactiques, mais qui n’affiche pas sa visée didactique afin de garantir l’authenticité des participations. Cela a donné le projet Babelweb et son concept de didactique invisible.

La didactique invisible

Toute action et communication étant fortement déterminée par les interactions sociales dans lesquelles elle s’inscrit, définir ouvertement un site comme site didactique implique que les apprenants vont y avoir un comportement essentiellement d’apprenants. L’idée est donc de concevoir un site avec des objectifs didactiques clairement définis, mais ne présentant pas d’aspect didactique pour ses visiteurs. L’apprenant et plus généralement l’internaute trouvant ce site doivent avoir l’impression de se trouver sur un site participatif du Web 2.0 tel qu’il en existe de nombreux. Ceci a un double avantage : les apprenants pourront y avoir un comportement d’usager de la langue en conformité avec les règles sociales du site et se retrouveront sur le site tout aussi bien des apprenants de langue étrangère que des internautes locuteurs natifs ou courants.

Le concept de didactique invisible est adapté de celui de théâtre invisible intégré au « Théâtre de l’opprimé » d’A. Boal. Tout comme le spectateur de ce théâtre ne se rend pas compte qu’il a assisté, dans une situation de la vie de tous les jours, à une représentation, l’apprenant venant sur Babelweb ne devrait pas se rendre compte qu’il agit sur un site construit avec une visée didactique. Nous allons ainsi également dans le sens de F. Mangenot et F. Penilla9 qui font remarquer que « l’approche actionnelle, qui vise des pratiques pédagogiques en prise avec la réalité, fait de l’enseignant concepteur un illusionniste dont les ficelles (didactiques forcément) doivent se fondre dans le décor, réel ou virtuel, qui lui sert de toile de fond ».

Babelweb

Le projet

Le projet Babelweb, projet Life Long Learning cofinancé pendant 2 ans par la Commission européenne et coordonné par l’Université de La Réunion, regroupe 9 institutions éducatives de l’Union européenne.

Ses objectifs sont multiples : promouvoir l’apprentissage de l’espagnol, du français et de l’italien, et plus généralement l’utilisation des langues romanes et l’intercompréhension entre ces langues en exploitant les technologies du Web 2.0 (blogues, wikis ou forums).

En contribuant aux différents sites du projet, les apprenants communiquent réellement dans la langue qu’ils étudient. La participation de locuteurs natifs ainsi que la possibilité de comprendre et de répondre dans une des langues cibles du projet privilégient les interactions sociales. Cette communication en plusieurs langues encourage le développement de stratégies de compréhension et authentifie les échanges linguistiques et culturels qui s’installent.

Afin de mettre en œuvre le concept de didactique invisible tout en proposant des activités d’apprentissage, le projet Babelweb met en place deux portails : un portail public et un portail didactique, ce dernier s’adressant en première ligne aux enseignants.

Le portail public

Le portail public (http://www.babel-web.eu), dépourvu d’aspect didactique, donne accès aux 10 sites du projet proposant chacun une tâche, certaines réalisables dès le niveau A1.

Ces sites utilisent les outils du Web 2.0 qui favorisent les contributions multiples et les réactions aux participations. Une inscription préalable, unique pour tous les sites, est requise.

Les thématiques des tâches de communication, proches des préoccupations des apprenants, appartiennent à la vie quotidienne et sont habituellement présentes et exploitées dans les méthodes : cuisine, voyage, cinéma… Certaines font également appel à l’imaginaire des apprenants : création d’un récit collectif, interprétations d’un poème…

L’invitation à insérer des photos, des vidéos ou des enregistrements audio dans les publications contribue à promouvoir, d’une part, l’acquisition de compétences transversales comme la manipulation de fichiers spécifiques et, d’autre part, le développement des compétences orales.

Le portail didactique

Le portail didactique (http://edu.babel-web.eu) propose un espace d’apprentissage associé à chaque site du portail public. Cet espace, disponible dans les trois langues du projet, comprend des exercices et activités permettant d’acquérir ou approfondir les compétences et connaissances nécessaires à la réalisation des tâches proposées sur le portail public.

De manière générale, ces mini-parcours didactiques comprennent trois phases entre lesquelles l’apprenant peut évoluer comme il le souhaite.

  • Découverte : observation et déduction. L’apprenant prend contact avec le point abordé durant l’activité, fait une première analyse et établit sa propre règle de fonctionnement.

  • Information : éclairage explicatif plus théorique. L’apprenant vérifie la règle qu’il vient d’établir.

  • Entrainement : exercices d’acquisition ou d’approfondissement.

Une fiche pédagogique destinée à l’enseignant propose des activités à effectuer en classe pour chaque module. Elle doit aider le professeur à intégrer les tâches en ligne dans une programmation de cours et une progression d’apprentissage.

Nous invitons fortement les enseignants désireux de travailler avec Babelweb à présenter les sites et leurs tâches comme des sites participatifs du Web 2.0 afin d’en tirer le maximum de profit. Le rôle de l’enseignant devient alors celui de véritable aide à l’action et à l’apprentissage. Il peut en effet proposer son expertise aux apprenants pour les aider à participer aux tâches proposées en ligne.

Conclusion

L’approche actionnelle mise en œuvre par Babelweb en relation avec le concept de didactique invisible doit permettre aux apprenants de réaliser des tâches au sein d’interactions sociales réelles et de se comporter comme de vrais usagers de la langue ayant des comportements – notamment langagiers – proches de ceux de locuteurs natifs. Le concept semble fonctionner puisque les premières analyses10 montrent que Le plus bel endroit du monde, le premier blogue lancé par Babelweb, regroupe aussi bien des apprenants que des locuteurs natifs et que le comportement des apprenants présente une forte authenticité interactionnelle.

Institutions partenaires :

  • Université de La Réunion, St. Denis de La Réunion, France/La Réunion

  • 1er Lycée Expérimental d’Athènes « GENNADIO », Athènes, Grèce

  • Difusión. Centro de Investigación y Publicaciones de Idiomas, Barcelone, Espagne

  • Centre d’Approches Vivantes des Langues et des Médias (CAVILAM), Vichy, France

  • Institut International d’Études Françaises (IIEF), Université de Strasbourg, Strasbourg, France

  • Società Dante Alighieri – Sede Centrale, Rome, Italie

  • Società Dante Alighieri Salzburg, Salzburg, Autriche

  • Fachhochschule Salzburg GmbH, Kuchl/Salzburg, Autriche

  • Lycée Mäkelänrinne, Helsinki, Finlande

Portail public : http://www.babel-web.eu

Portail pédagogique : http://edu.babel-web.eu

Contact : babelweb.info@gmail.com

Références bibliographiques

BRASSAC, C. & GREGORI, N., 2000, « Co-construction de sens en situation de conception d’un outil didactique », in : Studia Romanic Posnaniensia, 25/26, 55-66.

http://www.univ-nancy2.fr/pers/brassac/PublicationsBrassac.pdf/poznan.pdf [août 2009]

GRILLO E., 2000, Intentionnalité et signifiance : une approche dialogique, Peter Lang, Publications Universitaires Européennes, Bern / Berlin / Bruxelles / Frankfurt am Main / New York / Wien.

ELLIS R., 2003, Task-based language learning and teaching, Oxford University Press, Oxford.

PUREN, C., 2009, « Variations sur la perspective de l’agir social en didactique des langues-cultures étrangères ». Le français dans le monde, Recherches et applications, janvier 2009, http://www.fdlm.org/fle/article/361/RA45extrait2.pdf [août 2009]

CONSEIL DE L’EUROPE, 2000, Un cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Didier. Egalement disponible en ligne :

www.coe.int/T/DG4/Portfolio/documents/cadrecommun.pdf [août 2009]

JEANNEAU, C. & OLLIVIER, C., 2009, « Eléments influençant la nature des interactions en ligne des apprenants de langues », in : C. Develotte, F. Mangenot, E. Nissen (coord.) Actes du colloque Echanger pour apprendre en ligne (EPAL). Grenoble, 5-7 juin 2009. http://w3.u-grenoble3.fr/epal/actes.html [août 2009]

1 (CECR 2001 : 121)

2 (Ellis 2003 : 305)

3 (Ellis 2003 : 334)

4 (Grillo 2000, 63)

5 (Grillo 2000, 257)

6 (2000 : 5)

7 Nous soulignons.

8 (2003 : 335)

9 (2009 : 90)

10 (Jeanneau & Ollivier 2009)

Babelweb, nouvelles perspectives pour la classe de langue, I. Barrière, C. Ollivier, in Le Français dans le Monde n°376, juillet-août
2011, CLE International, France.

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